RESPONSABILITES
Responsabilité de l'avocat pour défaut de conseil
Il résulte de l'ancien article 1147 du Code civil (actuel 1131-1)que l'avocat, investi d'un devoir d'information et de conseil est tenu de recueillir de sa propre initiative auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts.
Un arrêt devenu irrévocable, a rejeté la demande en revendication du client d'un avocat portant sur la propriété de parcelles par l'effet de la prescription acquisitive aux motifs, notamment, que son client avait proposé le rachat du terrain concerné et reconnu ainsi avoir conscience qu'il s'agissait d'une parcelle appartenant à autrui, et était équivoque.
Il appartenait donc à l'avocat du revendiquant de poser "les bonnes" questions à son client ou solliciter de lui la production de pièces, allant dans le sens de sa revendication, et de recueillir tous les éléments concernant les terrains en cause, avant de conseiller de formuler imprudemment une offre de rachat.
Civ. 1ère, 26 juin 2024, 23-15.03 - Rappelons que l'avocat est tenu à des obligations de compétence, de diligence et surtout de prudence (Art. 1.3 RIN). En l'espèce, il s'agit également d'une erreur "stratégique" : le fait de formuler une offre d'achat sur un terrain qu'on prétend avoir acquis par prescription...
Garde de la chose : Pas de force majeure en cas de collision entre skieurs
Il résulte de l'article 1242, alinéa 1er, du code civil qu'un événement n'est constitutif de la force majeure permettant de s'exonérer de la responsabilité prévue par ce texte que s'il est imprévisible, irrésistible et extérieur.
La simple modification de sa trajectoire par un skieur engagé dans une épreuve de ski-cross, ne constitue pas un événement imprévisible pour un autre concurrent, lequel doit donc être déclaré responsable des dommages causés à ce concurrent en cas de collision.
Civ. 2e, 19 septembre 2024, n° 23-10.638, publié au Bulletin
Garde de la chose : Immunité de l'employeur de la victime
Selon l'article 1242, al.1, du Code civil, on est responsable des dommages causés par "les choses qu'on a sous sa garde", même si celles-ci ne sont pas clairement identifiées, à condition de rapporter la preuve d'un lien de causalité entre leur survenance et leur intervention.
Il en est ainsi en cas d'inhalation d'un nuage de gaz toxique survenu dans une entreprise, bien que son origine exacte soit demeurée inconnue.
La preuve est ainsi apportée par présomption sur des éléments de faits soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond.
Par ailleurs, en application des articles L. 451-1, L. 452-5 du Code de la Sécurité Sociale , sauf si la faute de l'employeur est intentionnelle, le tiers étranger à l'entreprise, qui a indemnisé la victime d'un accident du travail pour tout ou partie de son dommage, n'a pas de recours contre l'employeur de celle-ci.
Selon l'article L. 482-4 du meme code, est nulle de plein droit toute convention contraire au livre IV du même code, relatif aux accidents du travail et maladies professionnelles.
Il en résulte qu'un employeur ne peut renoncer à l'immunité dont il bénéficie en application de l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale.
Ainsi l'entreprise gardienne de la chose dommageable, et dont la responsabilité est engagée à l'égard des salariés victime, ne peut exercer de recours à l'encontre de leur employeur en vertu d'une convention selon laquelle le prestataire est totalement responsable des agissements de son personnel dans le cadre des missions qui lui sont confiées et garantit le client de toute action, notamment de ses propres salariés contre le client, et qu'en l'absence de faute lourde alléguée imputable au client, le prestataire doit sa garantie à ce dernier.
Civ. 2e, 5 septembre 2024, n° 21-23.442, publié au Bulletin
Opposabilité d'une clause limitative de responsabilité aux tiers et à leurs assureurs subrogés
La Cour de cassation juge que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n° 9) et que s'il établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu'il subit, il n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963, publié au bulletin).
Pour ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s'est engagé en considération de l'économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants.
Com., 3 juillet 2024, 21-14.947, publié au Bulletin ; LEDC sept. 2024, n° DCO202j8, p. 8, note Marie Zaffagnini ; GPL 10 septembre 2024, n° GPL467o7, p. 17, note Clément Bizet ; GPL 10 septembre 2024, n° GPL467e2, p. 6, note Dimitri Houtcieff ; RGDA septembre 2024, n° RGA201z6, p. 12, note Jérôme Kullmann ; bjda.fr 2024, n° 94, note M. Eliphe ; JCD 2024, G, 1074, note David Bakouche et Yves-Marie Serinet ; RC et Ass. septembre 2024, 189, note L. Bloch ; D 19 septembre 2024, 1577, note Antoine Gouëzel, D 19 septembre 2024, 1067, note Dimitri Houtzieff ; - Voir Franck Juredieu : " L'assimilation des fautes contractuelles et délictuelles ", RC et Ass. juin 2024, 13
Responsabilité solidaire des parents séparés du fait de leurs enfants mineurs
Vu l'article 1242, alinéa 4, du code civil :
Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, l'article 1384, alinéa 4, du code civil disposait que le père et la mère, en tant qu'ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Dans sa version issue de la loi précitée, qui pose le principe de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, ce texte, devenu l'article 1242, alinéa 4, du code civil, dispose que le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
Ce texte n'envisageant que la situation de l'enfant habitant avec ses deux parents, la jurisprudence a dû interpréter la notion de cohabitation lorsque les parents ne vivent pas ensemble.
La Cour de cassation juge à cet égard, avant comme après l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002, que cette condition de cohabitation n'est remplie qu'à l'égard du parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant a été fixée par un juge ;(2e Civ., 20 janvier 2000, pourvoi n° 98-14.479, Bull. 2000, II, n° 14), de sorte que la responsabilité d'un dommage causé par son enfant mineur lui incombe entièrement quand bien même l'autre parent, bénéficiaire d'un droit de visite et d'hébergement, exerce conjointement l'autorité parentale (Crim., 6 novembre 2012, pourvoi n° 11-86.857, Bull. crim. 2012, n° 241) et que le fait dommageable de l'enfant a eu lieu pendant cet exercice.
Cette jurisprudence est de nature à susciter des difficultés dans les situations, de plus en plus fréquentes, où les enfants résident alternativement chez l'un et l'autre de leurs parents, ou encore celles où ces derniers conviennent du lieu de résidence des enfants sans saisir le juge.
Elle est critiquée par une large partie de la doctrine et, parfois, écartée par des juridictions du fond qui privilégient la seule condition de l'exercice conjoint de l'autorité parentale ou apprécient concrètement le lieu de résidence effectif de l'enfant au moment du dommage.
En outre, elle se concilie imparfaitement avec l'objectivation progressive de la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur, qui permet notamment une meilleure indemnisation des victimes.
La Cour de cassation juge en effet que l'article 1384, alinéa 4, devenu l'article 1242, alinéa 4, du code civil, édicte une responsabilité de plein droit des père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux, dont seule la force majeure ou la faute de la victime peut les exonérer (2e Civ., 19 février 1997, pourvoi n° 94-21.111, Bull. 1997, II, n° 56).
Elle énonce également que cette responsabilité n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute de l'enfant (2e Civ., 10 mai 2001, pourvoi n° 99-11.287, Bull. 2001, II, n° 96), de sorte qu'il suffit, pour qu'elle soit engagée, qu'un dommage soit directement causé par son fait, même non fautif (Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 00-13.787, Bull. crim. 2002, Ass. plén., n° 3 ; Ass. plén., 13 décembre 2002, pourvoi n° 01-14.007, Bull. 2002, Ass. plén., n° 4).
Ainsi, les parents ne peuvent s'exonérer de cette responsabilité objective au seul motif qu'ils n'ont commis aucune faute, qu'elle soit de surveillance ou d'éducation.
Enfin, cette jurisprudence, qui décharge de sa responsabilité de plein droit le parent chez lequel la résidence habituelle de l'enfant n'a pas été fixée, s'accorde également imparfaitement avec l'objectif de la loi du 4 mars 2002 de promouvoir le principe de la coparentalité.
Ce principe reflète, en droit interne, celui posé par l'article 18, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant, selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement, laquelle subsiste après la séparation du couple parental.
L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à interpréter désormais la notion de cohabitation comme la conséquence de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, laquelle emporte pour chacun des parents un ensemble de droits et de devoirs, et à juger désormais que leur cohabitation avec un enfant mineur à l'égard duquel ils exercent conjointement l'autorité parentale ne cesse que lorsque des décisions administrative ou judiciaire confient ce mineur à un tiers.
Il en résulte que les deux parents, lorsqu'ils exercent conjointement l'autorité parentale à l'égard de leur enfant mineur, sont solidairement responsables des dommages causés par celui-ci dès lors que l'enfant n'a pas été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire.
Ass. Plèn., 28 juin 2024, n° 22-84.760 , publié au Bulletin et au Rapport ; SJ, G, 2024, 992, note Laura Vitale ; RC et Ass., septembre 2024, 190, note J. Lagoutte.
Note :
Cet arrêt important constitue un revirement attendu qui s'inscrit dans une objectivation progressive de la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur, et permet notamment une meilleure indemnisation des victimes du fait de la solidarité mise à la charge des parents et de leurs assureurs de responsabilité civile.
En effet, l'assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l'assuré est civilement responsable en vertu de l'article 1242 du code civil, quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes (C. assur. L 121-2).
De plus, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable (C. assur., L. 124.3).
Dès lors, chacun des parents séparés, et notamment celui chez lequel la résidence habituelle de l'enfant n'a pas été fixée, devra veiller à bénéficier d'une couverture d'assurance responsabilité civile, notamment dans le cadre d'une police multirisques habitation, sachant que celle-ci n'a pas toujours un caractère obligatoire...
Aux termes de l'article 1313 du Code civil, la solidarité entre les débiteurs oblige chacun d'eux à toute la dette. Le paiement fait par l'un d'eux les libère tous envers le créancier. Le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix. Les poursuites exercées contre l'un des débiteurs solidaires n'empêchent pas le créancier d'en exercer de pareilles contre les autres.
Toutefois, selon l'article 1317 :
- les codébiteurs solidaires ne contribuent à la dette que chacun pour sa part.
- Celui qui a payé au-delà de sa part dispose d'un recours contre les autres à proportion de leur propre part.
- Si l'un d'eux est insolvable, sa part se répartit, par contribution, entre les codébiteurs solvables, y compris celui qui a fait le paiement et celui qui a bénéficié d'une remise de solidarité.
Enfin, les polices d'assurance souscrites par les parents n'ont pas de caractère cumulatif, dans la mesure où elle n'ont pas le même souscripteur. Dès lors, l'assureur qui aura été amené à régler la totalité du dommage au titre de sa garantie responsabilité civile, disposera d'un recours contre l'autre dans les conditions du droit commun.
Cette décision ne devrait donc avoir aucun impact sur la sinistralité ou l'augmentation des primes, puisqu'elle ne fait que répartir la charge d'une même réparation entre plusieurs assureurs.
Responsabilité du vendeur pour défaut d'information du consommateur sur les conditions de transport de la chose vendue
Aux termes de l'article L. 221-1, alinéa premier, devenu L. 421-3, du code de la consommation, les produits et les services doivent présenter, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes.
Après avoir constaté qu'un consommateur avait chargé sur sa remorque 67 planches, longues chacune de 4,52 mètres, avec l'aide d'un préposé de la société venderesse, l'arrêt retient que l'acquéreur, simple consommateur profane, n'avait été informé du poids total des planches, ni par le préposé qui l'ignorait, ni par les factures qui ne le mentionnaient pas, et ce, quoique le vendeur ait été sensibilisé par une campagne de la fédération de négoce bois et matériaux au problème de la surcharge des véhicules et à la nécessité de refuser de charger les matériaux en ce cas.
Le vendeur a ainsi méconnu l'obligation d'information et de conseil, inhérente au contrat de vente, qui lui incombait au regard des caractéristiques de l'ensemble des matériaux vendus et des conditions raisonnablement prévisibles de leur transport par un non-professionnel.
Civ. 1ère, 19 juin 2024, n° 21-19.972, publié au Bulletin ; GPL 3 sept. 2024, n° GPL466z2, p.1, note Jean Arié Lévy ; RC et Ass., septembre 2024, 191, note Olivia Robin-Sabard.
Action récursoire d'un Centre Hospitalier contre le fabricant d'un produit défectueux
Le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.
Lorsqu'un établissement de santé a, en raison de ce que sa responsabilité était engagée, indemnisé un patient des dommages ayant résulté de l'utilisation, lors de soins pratiqués dans l'établissement, d'un produit de santé défectueux, il a la possibilité de rechercher, à titre récursoire, la responsabilité du producteur de ce produit sur le fondement particulier des dispositions des articles 1245 à 1245-17 du code civil.
Selon l'article 1245-15 du même code, l'action récursoire du centre hospitalier ne peut être exercée contre le producteur du produit que dans un délai de dix ans à compter de la mise en circulation de celui-ci, sauf si la victime a elle-même engagé, dans ce délai, une action à l'encontre du producteur visant à la réparation des dommages ayant résulté de l'utilisation de ce même produit.
Il est par ailleurs loisible à l'établissement de santé, s'il s'y croit fondé, d'engager une action récursoire contre le producteur de ce produit en invoquant la responsabilité pour faute de ce dernier.
CE, 5ème ch., 05 Juillet 2024, 476139 ; bjda.fr 2024, n° 94, note P. Rousselot
Préjudice réparable : préjudice d'angoisse de mort imminente en cas de survie
À compter de la survenance du fait dommageable, la victime d'une atteinte corporelle ou d'une menace d'atteinte corporelle suffisamment graves pour qu'elle envisage légitimement l'imminence de sa propre mort, subit un préjudice spécifique.
Dans le cas où la victime a survécu, ce préjudice se réalise dès qu'elle a conscience de la gravité de sa situation et tant qu'elle n'est pas en mesure d'envisager raisonnablement qu'elle pourrait survivre.
Ce préjudice d'angoisse de mort imminente en cas de survie se rattache au poste des souffrances endurées, qui indemnise toutes les souffrances physiques et psychiques, quelles que soient leur nature et leur intensité, ainsi que les troubles associés qu'endure la victime à compter du fait dommageable et jusqu'à la consolidation de son état de santé.
Cependant, son indemnisation par un poste de préjudice autonome ne peut donner lieu à cassation que si ce préjudice a été indemnisé deux fois, en violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
Civ. 2e, 11 juillet 2024, n° 23-10.068, publié au Bulletin ; GPL 17 sept. 2024, n° GPL467r7, p.19, note Hugo Lemont et Aurélie Coviaux.
Rappelons que dans son arrêt du 25 mars 2022 (n°20-15.624, publié au Bulletin), la Chambre Mixte de la Cour de Cassation a admis que pour caractériser l'existence d'un préjudice distinct « d'angoisse de mort imminente », il est nécessaire de démontrer l'état de conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès, ce qui est une question de fait.
Elle avait considéré que la nature et l'importance des blessures, rapportées au temps de survie de la victime, âgée de seulement vingt-sept ans, pouvaient démontrer que la victime avait souffert d'un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive.
Dès lors, en vertu du principe de réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, et sans indemniser deux fois le même préjudice, il était possible de réparer d'une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d'autre part, de façon autonome, l'angoisse d'une mort imminente.
Le même jour, la Chambre Mixte (25 mars 2022, n° 20-17.072, publié au Bulletin et au Rapport) estimait que :
Les proches d'une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve ou s'est trouvée exposée, à l'occasion d'un événement, individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l'incertitude pesant sur son sort.
La souffrance, qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l'attente et de l'incertitude, est en soi constitutive d'un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l'événement.
Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l'événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement.
Il résulte de ce qui précède que le préjudice d'attente et d'inquiétude que subissent les victimes par ricochet ne se confond pas, ainsi que le retient exactement la cour d'appel, avec le préjudice d'affection, et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de façon autonome.
En l'espèce, la Cour de Cassation rattache expressément le préjudice spécifique d’angoisse de mort imminente au poste de Souffrances Endurées. Dès lors, il appartient de bien distinguer dans ce poste ce qui relève de ce préjudice spécifique, lequel devrait être caractérisé, notamment, dans le rapport d'expertise médicale. De plus, sa prise en compte devrait entraîner un montant d'indemnisation excédant les barèmes habituels du poste Souffrances Endurées.
ASSURANCES
La nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration est inopposable au passager victime, même s'il est le preneur d'assurance
L’article 3, premier alinéa, et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent, sauf si la juridiction de renvoi constate l’existence d’un abus de droit, à une réglementation nationale qui permet :
- d’une part, d’opposer au passager d’un véhicule impliqué dans un accident de la circulation, qui est victime de cet accident, lorsque celui-ci est également le preneur d’assurance, la nullité du contrat d’assurance de la responsabilité civile automobile résultant d’une fausse déclaration de ce preneur d’assurance faite lors de la conclusion de ce contrat, quant à l’identité du conducteur habituel du véhicule concerné et,
- d’autre part, à l’assureur, dans l’hypothèse où une telle nullité est effectivement inopposable à un tel « passager victime », d’obtenir le remboursement de la totalité des sommes qu’il a versées à ce passager en exécution du contrat d’assurance au moyen d’un recours introduit contre ce dernier, fondé sur la faute intentionnelle commise par celui-ci lors de la conclusion de ce contrat, dès lors qu’un tel remboursement conduirait à priver de tout effet utile les dispositions de cette directive, en limitant de manière disproportionnée le droit de la victime à obtenir une indemnisation par l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs.
CJUE, 1ère Chb., 19 septembre 2024, C‑236/23,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 30 mars 2023, parvenue à la Cour le 7 avril 2023, dans la procédure MATMUT /MAAF, FGAO
Fondement et étendue de la subrogation de l'assureur
Selon l'article 1346-1 du code civil, la subrogation conventionnelle s'opère à l'initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d'une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur.
Par ailleurs, selon une jurisprudence constante (1re Civ., 24 octobre 2000, pourvoi n° 98-22.888, publié ; 1re Civ., 11 mars 2020, pourvoi n° 19-14.104), le débiteur qui s'acquitte d'une dette personnelle peut néanmoins prétendre bénéficier de la subrogation, qu'elle soit légale ou conventionnelle, s'il a, par son paiement, libéré envers le créancier commun, celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette.
En application de l'article 1346-4 du code civil, la subrogation transmet au subrogé la créance et ses accessoires, parmi lesquels le titre exécutoire dont bénéficiait le créancier subrogeant.
Les victimes d'une escroquerie ont établi des quittances subrogatives au bénéfice de l'assureur d'un expert-comptable dont la responsabilité contractuelle a été engagée pour ne pas avoir détecté l'escroquerie et alerté ces victimes, en raison du paiement par celui-ci de la dette de son assuré et que ces quittances ont été notifiées à l'escroc.
Cet escroc étant le débiteur final de la dette résultant des détournements pour lesquels il avait été définitivement condamné, l'assureur de l'expert comptable fautif justifiait d'une subrogation conventionnelle dans les droits dont les victimes étaient titulaires à l'encontre de cet escroc et était donc recevable à intervenir, sur le fondement du titre exécutoire qu'elles avaient obtenues à la procédure de saisie des rémunérations diligentée par les victimes contre l'escroc, à hauteur des sommes que cet assureur leur avait payées.
Civ.2e, 20 juin 2024, n° 22-15.628, publié au Bulletin ; LEDA septembre 2024, n° DAS202c6, p. 4, note Axelle Astegiano-La Rizza ; bjda.fr 2024, n° 94, note Ph. Casson ; RC et Ass, septembre 2024, note Didier Krajeski.
Catastrophe naturelle : Point de départ de la prescription à la date de connaissance des dommages
Selon l'article L.114-1 du Code des assurances, que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. Par exception, les actions dérivant d'un contrat d'assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols, reconnus comme une catastrophe naturelle dans les conditions prévues à l'article L. 125-1, sont prescrites par cinq ans à compter de l'événement qui y donne naissance.
Toutefois, ce délai ne court, en cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s'ils prouvent qu'ils l'ont ignoré jusque-là.
De son côté, l'article 2224 du Code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Dès lors, il résulte de la combinaison de ces dispositions que si le point de départ de la prescription de l'action en indemnisation des conséquences dommageables d'un sinistre de catastrophe naturelle se situe à la date de publication de l'arrêté, il peut être reporté au-delà si l'assuré n'a eu connaissance des dommages causés à son bien par ce sinistre qu'après cette publication.
Civ. 2e, 11 juillet 2024, n° 22-21.366, publié au Bulletin ; RGDA sept. 2024, n° RGA201z7, p.32, note Jérôme Kullmann ; bjda.fr 2024, n° 94, note A.-S. Le Carvennec ; LEDA septembre 2024, n° DAS202c2, p.2, note Nicolas Bonnardel, - Si cette solution est favorable à l'assuré, c'est à lui d'apporter la preuve de la date effective de la connaissance des conséquences dommageables de la catastrophe naturelle sur ses biens sinistré afin de bénéficier de ce report.Cette preuve ne sera pas toujours facile à rapporter dans la mesure où la reconnaissance d'un état de catastrophe naturelle a un caractère public. De plus, l'apparition de dommages peut avoir un caractère évolutif...
Il résulte des articles 1147 et 1149 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 que le paiement des pénalités de retard mises à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale lui refusant le bénéfice de la réduction d'impôt escomptée d'une opération de défiscalisation ne constitue pas un préjudice indemnisable, sauf s'il est établi que, sans la faute des personnes en charge de cette opération dont la responsabilité est recherchée, ce contribuable n'aurait pas été exposé au paiement de ces pénalités. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 124-1-1 du code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d'information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l'existence d'une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique. Civ. 2e, 19 septembre 2024, n° 22-23.156 , publié au Bulletin
Pas de globalisation en cas de défaut d'information du professionnel
PROCEDURE
Nécessité de respect de la clause de conciliation, y compris en cas de nouvelle instance au fond
Des demandeurs ont cédé à une défenderesse un fonds de commerce. L'acte de cession comportait une clause de conciliation préalable à toute instance judiciaire pour toute contestation relative à l'exécution du contrat.
Après avoir vainement mis en oeuvre une procédure de conciliation, les demadeurs ont saisi en référé le président d'un tribunal de commerce de demandes, tendant à voir condamner la société cessionnaire à exécuter ses obligations contractuelles, qui ont été rejetées par une cour d'appel.
Les demandeurs ont alors repris leur demande au fond, et la défenderesse a soulevé une fin de non recevoir tirée de l'absence de mise en oeuvre de la clause de conciliation préalablement à cette instance au fond.
Il résulte de l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil, et de l'article 122 du code de procédure civile que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent.
Ayant relevé, d'une part, que le contrat de cession de fonds de commerce comportait une clause prévoyant que toutes les contestations relatives à l'interprétation et l'exécution de la convention devaient, préalablement à toute instance, être soumises à des conciliateurs, d'autre part, que la défenderesse soulevait la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en oeuvre de cette procédure de conciliation préalablement à l'instance au fond, et enfin que les demandeurs lui soumettaient un différend né de l'exécution du contrat de cession, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision en déclarant irrecevables les prétentions des demandeurs.
Civ. 2e, 12 septembre 2024, 21-14.946,publié au Bulletin ; DA, 24 septembre 2024, note Corinne Bléry - A noter que la situation tirée du défaut de mise en œuvre d’une clause contractuelle instituant une procédure obligatoire et préalable à toute saisine d’un juge n’est pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance (Civ. 3e, 6 oct. 2016, n° 15-17.989 , publiée au Bulletin). En l'espèce, les demandeurs avaient bel et bien mis en oeuvre la clause de conciliation avant la saisine du Juge des référés, mais la Cour de Cassation estime qu'ils devaient également la renouveler avant l'introduction d'une nouvelle instance au fond. Même si cette solution pourrait apparaître discutable puisque la conciliation avait été tentée avant le référé, la publication de cette décision au Bulletin, témoigne de son importance et il appartient aux avocats non seulement de vérifier systématiquement l'existence d'une telle clause préalablement à tout contentieux contractuel, et de la mettre en oeuvre tant au stade d'un référé que d'une instance au fond.
Voir également : Eugénie Criquillion : " Entrée en vigueur du décret du 29 décembre 2023 : quelles nouveautés pour l’amiable ? ", sur le site du Village de la Justice.
Pas d'action contre son assureur de RC en l'absence de réclamation de la victime
En 2011, une société a fabriqué des steaks hachés qui ont dû être retirés du marché en raison d'un risque sanitaire, et son dirigeant a été condamné pénalement pour diverses infractions et à indemniser 16 victimes.
Bien qu'aucune réclamation n'ait encore été formée par les victimes à l'encontre de la société fabricante, celle-ci a assigné "à titre préventif" son assureur de responsabilité civile "Produits livrés" afin de l'entendre condamner à la relever et garantir de toute condamnation pécuniaire qui pourrait être mise à sa charge du fait de ces dommages.
L'article L. 124-1 du code des assurances dispose que, dans les assurances de responsabilité, l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé et l'article L. 124-3, alinéa 2, du même code énonce que l'assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé, jusqu'à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l'assuré.
En l'espèce, l'assuré n'alléguait pas et, a fortiori, ne démontrait pas, avoir indemnisé une victime, ni même avoir fait l'objet, de la part d'une victime, d'une quelconque demande d'indemnisation en lien avec la crise sanitaire de juin 2011, de sorte que les préjudices sont, en l'état, simplement éventuels, donc futurs et incertains.
Sa demande était donc irrecevable, faute d'intérêt pour agir.
Civ. 3e, 19 septembre 2024, n° 22-19.698, publié au Bulletin;
Note :
Il peut être tentant pour un assuré d'assigner préventivement son assureur à la suite d'un dommage pouvant engager sa responsabilité, et avant même d'avoir fait l'objet d'une réclamation de la part du tiers lésé, de manière à faire consacrer le principe de sa garantie. Cette initiative apparaît d'autant plus justifiée que la réclamation du tiers pourrait apparaître bien longtemps avant la manifestation du dommage, alors que la police a été résiliée et au delà de la subséquente. (En effet, selon l'article 2226 du Code Civil : l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.)
Même si l'assuré paraît alors avoir un "intérêt légitime" à revendiquer le principe de la garantie de son assureur, ce n'est pas l'avis de la Cour de Cassation qui fait application du principe selon lequel le " préjudice réparable " doit être actuel et certain.
Or, ce n'est pas d'un préjudice que l'assuré demande réparation, mais la revendication d'un droit résultant du contrat d'assurance : celui d'être garanti en cas de réclamation éventuelle d'un tiers, à la suite d'un fait dommageable pouvant engager la responsabilité de l'assuré.
Lorsqu'une police a été souscrite en " fait dommageable ", la garantie est acquise quelle que soit la date de la réclamation de la victime, en revanche le problème se pose dans les polices souscrites en " base réclamation", puisque si la garantie n'a pas été resouscrite au moment de la réclamation du tiers au delà de la période subséquente, aucune garantie d'assurance n'est acquise à l'ancien assuré.
En effet, selon l'article L 124-3,al. 4, du Code des assurances, " la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie, et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration mentionné par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs des sinistres ".
Toutefois, en l'espèce, il n'y avait pas sinistre au sens de l'article L 124-1-1 du Code des assurances, puisqu'il n'y avait pas réclamation... La solution aurait peut-être de susciter une telle réclamation en demandant à chaque victime si elle avait un préjudice à faire valoir, sachant que l'assureur peut stipuler qu'aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposables (C. ass., art. L.124-2).
Mais il est vrai qu'un tel comportement de l'assuré, qui pourrait être interprété comme une reconnaissance de responsabilité, pourrait se retourner contre lui, notamment si les conditions de la garantie ne sont pas acquises ou si le montant celle-ci est insuffisante ...
Point de départ de la prescription des actions récursoires
a. Point de départ à compter de la décision juridictionnelle ayant reconnu un droit contesté au profit d’un tiers :
Un notaire établit des actes de cession de parts et de donation de parents à leurs enfants.
Estimant que les donations avaient pour objet d'éluder le paiement de l'impôt sur la plus-value, l'administration fiscale a notifié aux enfants un redressement.
Après rejet de leurs recours par la juridiction administrative, les enfants assignent le notaire en responsabilité et en indemnisation.
Pour déclarer prescrite l'action récursoire en responsabilité des enfants contre leur notaire au titre de manquements à ses obligations, l'arrêt d’appel retient à tort que le délai de prescription a couru à compter de la notification par l'administration fiscale de l'avis de mise en recouvrement en 2012, alors qu’il aurait du courir à compter de la date de la décision juridictionnelle ayant définitivement statué sur leur réclamation en 2013.
Mixte, 19 juillet 2024, n° M 20-23.527, publié au Bulletin et au Rapport ; LEDA sept. 2024, n° DAS202c5? note Pierre Rousselot ; GPL 24 sept. 2024, n° GPL468e2, p. 20, note Romain Boffa.
b. Point de départ à compter de l’assignation :
Un notaire a établi un acte de notoriété désignant le conjoint survivant, en qualité de légataire de la quotité disponible entre époux, en présence d’enfants, et héritier du quart des biens en pleine propriété.
Une convention sous seing privé prévoyant les bases d'un partage amiable a été établie entre les héritiers, sous le contrôle des avocats des parties, dont celui du conjoint survivant.
Ce dernier assigne ultérieurement le notaire en responsabilité pour violation de son obligation d’information.
Le notaire est finalement déclaré responsable et condamné à payer des dommages et intérêts à sa cliente, conjoint survivant.
Les assureurs de la responsabilité du notaire exercent alors ultérieurement un recours contre l’avocat du conjoint survivant comme coauteur du défaut de conseil.
La Chambre mixte estime que la prescription de l'action récursoire engagée par le notaire contre l’avocat du conjoint survivant avait commencé à courir au jour ce notaire avait été assigné en responsabilité civile.
En effet, le notaire ne pouvait ignorer, dès la délivrance de l'assignation le concernant, ni l'erreur commune à tous les professionnels du droit intervenus, commise lors de l'établissement de l'acte de notoriété, ni le fait que le conjoint survivant n'avait pu obtenir la validation de l'option qu'elle avait entendu régulariser sur ses conseils, ni les conséquences préjudiciables qu'en tirait le conjoint survivant à son endroit.
Mixte, 19 juillet 2024, n° 22-18.729 (partage successoral), publié au bulletin et au Rapport ; DA 9 septembre 2024, note C. Hélaine ; bjda.fr 2024, n° 94, note L. Perdrix - Voir le communiqué de la Cour de Cassation
Même si ces solutions ne sont pas nouvelles, elles ont le mérite de la clarification. Elles doivent inciter les assureurs de responsabilité à faire preuve de vigilance dans l'exercice de leurs recours...
Actions récursoires entre constructeurs et reconnaissance d'un droit
En application des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce, le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
S'il était jugé (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié) que le point de départ du délai de recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant était la date à laquelle l'entrepreneur principal avait été assigné en référé-expertise par le maître de l'ouvrage, la Cour de cassation a, par un arrêt ultérieur (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié), modifié cette règle en décidant qu'une assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures.
Il en résulte qu'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à un entrepreneur, non assortie d'une demande de reconnaissance d'un droit, fût-ce par provision, ne fait pas courir le délai de prescription de l'action en garantie de ce constructeur contre d'autres intervenants à l'acte de construire.
Civ. 3e, 4 juillet 2024, 23-13.371 ; bjda.fr 2024, n° 94, note F. Michel
Par ailleurs, la Cour de cassation a jugé que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son assureur n'est pas fondé sur la responsabilité décennale, mais est de nature contractuelle si ces constructeurs sont contractuellement liés, et de nature quasi-délictuelle s'ils ne le sont pas, de sorte que le point de départ du délai de cette action n'est pas la date de réception des ouvrages (3e Civ., 8 février 2012, pourvoi n° 11-11.417, Bull. 2012, III, n° 23 ).
Elle en a déduit que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 de code civil et se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié).
S'agissant du point de départ du délai des recours entre constructeurs, elle a décidé qu'une assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures (3e Civ., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-21.305, publié).
Pour mettre hors de cause un assureur, un arrêt énonce donc à tort que le recours entre les constructeurs est soumis à la prescription quinquennale à compter de la demande en justice que si le constructeur reste exposé tout comme son assureur dommages-ouvrages au recours du maître de l'ouvrage et de son assureur.En effet, la recevabilité des recours entre les constructeurs ou leurs assureurs ne dépend pas de celle de l'action en responsabilité décennale du maître de l'ouvrage ou de l'assureur dommages-ouvrages à leur encontre.
Civ. 3e, 4 juillet 2024, 23-11.746 ; bjda.fr 2024, n° 94, note F. Michel
Loyauté de la preuve : Enregistrement à l'insu
En application des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Un employeur conteste l'existence même d'un accident du travail et pour établir avoir été molesté par le gérant au cours d'une dispute, la victime produit , outre un procès-verbal de dépôt de plainte et deux certificats médicaux, un procès-verbal d'huissier de justice retranscrivant un enregistrement effectué sur son téléphone portable lors des faits et effectué à l'insu de l'employeur.
L'altercation enregistrée est intervenue au sein de la société dans un lieu ouvert au public, au vu et au su de tous, et notamment de trois salariés et d'un client de l'entreprise.
La victime indique qu'elle s'est bornée à produire un enregistrement limité à la séquence des violences qu'elle dit avoir subi et n'a fait procéder au constat de la teneur de cet enregistrement par un huissier de justice que pour contrecarrer la contestation de l'employeur quant à l'existence de l'altercation verbale et physique.
De ces constatations et énonciations, dont il résulte qu'elle a recherché, comme elle le devait, si l'utilisation de l'enregistrement de propos, réalisé à l'insu de leur auteur, portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du dirigeant de la société employeur et le droit à la preuve de la victime, la cour d'appel a pu déduire que la production de cette preuve était indispensable à l'exercice par la victime de son droit à voir reconnaître tant le caractère professionnel de l'accident résultant de cette altercation que la faute inexcusable de son employeur à l'origine de celle-ci, et que l'atteinte portée à la vie privée du dirigeant de la société employeur était strictement proportionnée au but poursuivi d'établir la réalité des violences subies par elle et contestées par l'employeur.
Civ. 2e, 6 juin 2024, 22-11.736, publié au bulletin ; RC et Ass, septembre 2024, 183, note L. Bloch et S. Hocquet-Berg
Ainsi, il appartient au Juge de vérifier si la production de l'enregistrement d'un entretien effectué à l'insu de l'employeur, est indispensable à l'exercice du droit à la preuve d'un harcèlement moral.
Soc. 10 juill. 2024, n° 23-14.900, publié au Bulletin ; DA 11 septembre 2024, note Sonia Norval-Grivet
La preuve d'un fait juridique peut être apportée par tout moyen
Le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même n'est pas applicable à la preuve d'un fait juridique tel qu'une livraison.
Com., 26 juin 2024, 22-24.487, publié au Bulletin ; DA 16 septembre 2024, note C. Hélaine - Voir : Civ .1ère, 1er oct. 2014, n°13-24.699
Constatation par le JEX du caractère réputé non écrit d'une clause abusive
Par un arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14 ECLI:EU:C:2017:60 Banco Primus), la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que l'autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle, en soi, à ce que le juge national soit tenu d'apprécier, sur la demande des parties ou d'office, le caractère éventuellement abusif d'une clause, même au stade d'une mesure d'exécution forcée, dès lors que cet examen n'a pas déjà été effectué à l'occasion du précédent contrôle juridictionnel ayant abouti à la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée.
Le juge de l’exécution peut donc constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive.
Il ne peut cependant ni annuler le titre exécutoire, ni le modifier et ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement, hors les cas prévus par la loi.
Le titre exécutoire étant privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l’exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi.
Il tire ensuite toutes les conséquences de l’évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d’exécution dont il est saisi.
Lorsqu’il constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure.
LEGISLATION
- Rapport d'activité de La Médiation de l'Assurance 2023.
- Règlement (UE) 2024/1689 du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle, publié le 12 juillet 2024 au Journal officiel de l'Union Européenne - Note de présentation (JF Carlot).
DOCTRINE - PUBLICATIONS
- Jean-François Carlot : Parution"Contentieux de l’assurance : Maîtriser l’art de la résolution des litiges dans le secteur assurantiel